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jeudi 31 janvier 2013

Emmanuel Top


Le rythme, le dosage et la durée.
(Guide d'utilisation de la machine)


" Il y a chez Emmanuel Top cette constante énergie viscérale, cet inépuisable pulsion pour le rythme qui défie l'auditeur droit dans les oreilles. Comme une volonté d'affirmer le sens de la musique techno, de créer quelque chose qui vous porte, littéralement."

Emmanuel Top vient tout juste de publier "Soundtrack Vol. 1", un parcours dans les univers de la musique électronique. Composée de douze nouveaux titres, cette bande sonore atypique témoigne d'une évolution dans sa carrière. Celle d'un compositeur accompli qui a décidé de tourner une page importante de sa carrière en explorant - peut-être pour une dernière fois - ce qu'il appelle "la limite des fréquences" à travers "un minimalisme complexe." Décollage immédiat.

Depuis 2011, l'artiste s'était remis à produire à intervalles réguliers de nouvelles pièces telles Revival, Dominos, Kong, Two points, Flux, Idealism ,Assemblage, Addiction ou Le sous-sol. Puis, "Soundtrack Vol. 1" est arrivé, avec ses douze pièces calibrées pour se donner de l'élan et regarder l'avenir. Après une longue absence, Emmanuel Top est donc revenu en avant plan sur la scène musicale pour combler le vide qu'il avait laissé dans la sphère électronique. Fortes, minimalistes, carrées, ces créations sont un prolongement de sa production plus ancienne. Elles sont davantage orientées vers cette noire lumière sortant du cadre d'une musique originale dont il a patiemment dessiné les frontières en 23 ans de carrière.

Emmanuel Top est un artiste incontournable de la musique techno depuis assez longtemps pour qu'un bon nombre de ses productions soient devenus des classiques. Tone, Turkish Bazar, Stress, Radio, Ecsta-Deal ou Fusion figurent dans la liste favorite de nombreux DJ's, de Londres à Ibiza. Elles comptent parmi un imposant catalogue qui a été réédité en 2011, pour le bonheur des inconditionnels, incluant votre idéonaute ici présent. De bouche à oreille, de platine à platine, de pistes de danse en casques d'écoute en passant par de multiples plateformes électroniques (dont la sienne), les amateurs du genre connaissent bien l'homme invisible qui se cache derrière un nom en forme de pseudonyme. Trompe l'oreille qui confond les sceptiques, Emmanuel Top ne s'efface pas derrière sa musique: il est sa musique.

Mais à propos, qui écrit sur la musique Techno? Qui réfléchit sur le sujet? Qui cite Emmanuel Top, hors des cercles trop fermés? C'est pour tenter de combler ce vide, à ma manière et très humblement, que j'écris aujourd'hui sur cet artiste que j'ai rencontré fréquemment entre 1993 et 1996 dans son Studio des Ondes, quelque part dans le nord de la France.

Rythme

À cette époque, je venais de réaliser, grâce à un ami d'enfance, qu'il se produisait près de chez nous un truc assez nouveau et assez fort pour me déstabiliser: une musique électronique plutôt dure et rapide qui résonnait dans les caves de bidouilleurs autodidactes puis dans des clubs d'un nouveau genre. Mon ami, comprenant rapidement que je m'enthousiasmais autant que lui sur ce virus qui torpillait toute logique musicale connue, m'a présenté Emmanuel Top un soir, histoire d'aller écouter de la très bonne techno à la source.

La chaleur du personnage et la sincérité de sa démarche artistique m'ont ravi, bien que je fusse à peine capable d'y réfléchir, tout entier plongé dans l'écoute écran large des prémisses de "Acid Phase", un futur succès. Je me suis senti comme dans un audiogramme géant, étourdi par les distorsions élastiques de sonorités industrielles, déséquilibré par la régularité de la basse faisant vibrer les membranes des hauts parleurs aux contours devenus flous, figé dans une texture sonore qui instrumentalise (au sens propre et figuré) les rythmes cardiaques et nerveux que produit le corps humain.

Chaque fois que nous retournions le voir, Vincent, David, Ming et moi, il nous serrait chaleureusement la main, nous invitait à jaser autour de ses machines, nous gratifiait d'une maquette en préparation, d'un échantillon destiné à ses tiroirs à idées, d'un titre sorti le mois dernier et encore fumant dans les oreilles, sachant que nous étions impressionnés, confortablement assis, en regardant les murs tapissés de vinyles publiés avec succès depuis 1991. C'était hier et aujourd'hui. C'était demain et la musique de fous. Hors de son antre, il nous arrivait parfois de danser sur sa musique sans savoir que c'était la sienne et il nous arrivait aussi de croire par instants qu'il était à l'origine d'un titre plus percutant que les autres entendu à la radio.

Témoins parmi d'autres de son effervescence créatrice, nous étions loin d'être les seuls à convenir que les morceaux d'Emmanuel Top étaient d'un niveau au dessus de bien des productions. En 2013, 20 ans de production électronique mondiale plus tard, cette opinion ne s'est pas démentie.

Dosage

Le centre de gravité de sa musique est très bas, marqué par une basse enveloppante, épurée et rigide. C'est le socle de la plupart de ses titres, chacun d'eux étant monté avec une phrase musicale identifiable instantanément: elle compose la structure, non pas sous forme de boucles, comme c'est souvent le cas avec la techno, mais plutôt sous forme de spirales. La phrase, qui imprègne la mémoire, gonfle progressivement, s'amplifie en passant tantôt vers l'aigu, tantôt vers le grave (Stress, Tone et Fusion sont des exemple éloquents). Le rythme s'accélère et se déploie dans tous les sens, toujours maitrisé en arrière plan par cette basse imperturbable.

Il a fait de l'utilisation de la TB 303 un art: passé maître dans l'utilisation de ce mini synthétiseur qui crée le son Acid - si chère aux producteurs de musique électronique- il a su en exploiter toutes les facettes sans devenir redondant. Bien que cet instrument ait été partie intégrante de l'image d'Emmanuel Top, elle n'est jamais omniprésente. Un savant dosage maintient une tension permanente chez l'auditeur qui est poussé à s'en libérer par la danse, l'autre versant de la techno.

Durée

Dans la diversité des musiques électroniques, Emmanuel Top est presque un genre à lui seul. La force de sa musique tient dans l'économie de sons et d'effets. Plutôt que de miser sur leur abondance, il privilégie le minimalisme en utilisant quelques sons originaux, lesquels sont poussés très loin (distorsion, coupures, reprises, inversions). La durée des morceaux, souvent au delà de six minutes, s'allonge au fil du temps.

Ses titres ont fait le bonheur des DJ's et des danseurs sur autant de pistes de danses que de disques vinyles coulés pendant un moment qui a duré des années. En passant la porte de son studio, j'ai eu la chance de connaitre un créateur prolifique et passionné qui n'a jamais dévié de sa route, distribuant à droite et à gauche des dizaines de morceaux improbables, défoulés, distincts et jouissifs. J'ai aussi eu l'occasion d'observer la musique électronique de l'intérieur, de rentrer dans le logiciel et d'y entendre des discussions humaines, des fous rires, de la spontanéité et beaucoup d'audace.

La techno est un environnement familier dans un paysage si riche industriellement que le nord de l'Europe ou le nord des États-Unis, les deux berceaux de la musique électronique. Dans la musique d'Emmanuel Top, on écoute la transformation du familier en inattendu.

© Stéphane Aleixandre (2015)

2 commentaires:

  1. Tu fait partie de ceux qui ont eu la chance de passer du temps avec lui dans son studio à l'époque: je t'envie ces précieux instants! :)

    Sinon, merci pour l'un des trop rares billets consacrés à ce producteur, de retour et toujours aussi bien nommé.

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    1. Merci, Elvin.
      La musique Techno est partout, mais on parle peu de ceux qui la font. Il y en a pourtant parmi eux qui font de longues carrières, comme Emmanuel Top. Et tu as raison, passer du temps avec lui au milieu de sa musique a été génial au point d'y consacrer un article 17 ans plus tard.

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